La taille et les impôts directs aux 17e et 18e siècles
La taille royale, dont il est question ici, est un impôt annuel, qui résulte de la décision des États-Généraux de 1439 de créer une armée royale permanente et de donner au roi les moyens de l’entretenir. Au 17e siècle et au début du 18e, elle sera l’impôt royal par excellence, et persistera jusqu’à son abolition par l’Assemblée Constituante en 1789. Abolition liée à l’esprit égalitariste de cette assemblée, puisque nobles et religieux étaient exemptés de taille.
La taille est issue d’un impôt féodal, la taille servile ou « queste », qui était appliquée aux « manants » pour aider le seigneur, qui assurait leur protection. On a tous entendu parler de la « taille aux 4 cas » qui pouvait être levée par le seigneur dans 4 cas précis : 1/ payer sa rançon s’il était fait prisonnier ; 2/ contribuer à ses frais de voyage « outre-mer » (pèlerinage en Terre sainte) ; 3/ pour le premier mariage de sa fille aînée (mariage qui assurait les meilleures alliances matrimoniales à la famille du seigneur) ; 4/ lorsqu’il était adoubé « chevalier ».
On voit bien l’idée directrice de l’impôt royal qui, à sa création, a trait à la conduite de la guerre. On y voit aussi l’origine de l’exemption seigneuriale, puisque le noble payait « l’impôt du sang », lui et ses fils, en servant à la guerre. Les ecclésiastiques qui assuraient le soutien moral en priant pour les combattants (et les autres !) sont également exemptés.
En fait, les impôts municipaux levés par les villes pour faire face à leurs dépenses courantes, se trouvaient aussi appelés taille, auxquels on « cotisait » (comme s’il s’était agi d’une association !). Il apparaît donc bien que, quelle qu’en soit l’origine, le nom de taille se trouve être synonyme d’impôt, contrairement aux « cens » et autres redevances féodales, qui sont des redevances « locatives ».
Étymologiquement, le nom de taille est lié à la baguette fendue en deux (taille et contre-taille) que l’on encochait soit pour prouver une dette, soit pour prouver un paiement.
Cette baquette était encore utilisée dans les petits commerces (tels les boulangeries) jusqu’au début du 20e siècle.
Dans la période qui nous intéresse, la taille est un impôt direct annuel qui, s’il est stable dans la période considérée, se trouve augmenté régulièrement de « crues » diverses, telles des rémunérations de quelques offices qui lui sont attachés, mais sans intérêt réel (tel le « greffier alternatif ») ou encore l’équipement des miliciens.
Jusqu’à la fin du 17e siècle, la taille était le seul impôt direct, mais devant l’augmentation des besoins publics, on assistera à la création de nouveaux impôts : la « capitation » (impôt par chef de famille dans lequel les redevables étaient divisés en 22 classes selon leur rang social : la première paie 2.000 livres, la dernière 20 sous, les pauvres payant moins de 40 sous de taille sont exemptés) ; le « dixième », portant sur 10 % du revenu des biens, est créé en 1710, et remplacé par le « vingtième » en 1748.
Les crues et les autres impôts royaux parviennent, dans la deuxième moitié du 18e siècle, à quasiment doubler le montant de la taille. De ce qui précède, il apparaît néanmoins que tous, même ceux que l’on appelle les « pauvres », paient la taille, même s’il ne s’agit que de quelques sous. Seuls les nobles, ecclésiastiques et titulaires d’offices, plus ou moins anoblissant, sont exemptés. Ce sont probablement les exemptions de ces derniers qui ont largement contribué au rejet de cet impôt par les « petits » .
Taille réelle et taille personnelle
La « taille réelle » était assise sur les biens fonciers et déterminée en fonction du cadastre (en sachant que les nobles la payaient sur leurs biens roturiers, les non-nobles ne la payaient pas sur leurs biens nobles, mais payaient les « droits de franc-fief »). Elle était utilisée dans les « Pays d’État », ceux dans lesquels la répartition entre communautés était décidée par les « États provinciaux »
La « taille personnelle », dans la plupart des « Pays d’élections », concernait les chefs de familles roturiers et était répartie « selon leurs facultés ». Cette répartition était faite au niveau de la « Généralité » (circonscription financière) et distribuée aux différentes « élections » composant cette généralité, puis par les « élus » à chaque « collecte »
Les « élus », qui répartissaient la taille en Pays d’élections, étaient « élus par le roi » et non par des électeurs !
Les « collectes » correspondaient souvent, mais non toujours, aux paroisses : plusieurs collectes dans une paroisse importante, une collecte regroupant plusieurs petites paroisses (dépendant en général du même seigneur – de la même « justice »).
En Auvergne, qui nous concerne ici, nous sommes en « Pays d’élections » dont la carte est accessible ici, montrant le regroupement des « élections » en une « Généralité de Clermont » ayant à sa tête des « Trésoriers généraux de France » .
La surface de chacune de ces élections correspond à peu près à nos arrondissements.
Les mécanismes d’attribution de la taille
Chaque année vers le mois de juillet, le conseil du roi déterminait le montant nécessaire pour l’année suivante (sous Henri IV, la taille représentait à peu près 60 % du budget de l’état ; sous Louis XIV, seulement 25 %).
Dès ce moment les trésoriers généraux recevaient par l’entremise de l’intendant de la province le « Brevet de la taille » représentant la taille qui devait être levée dans la province, associée à quelques suppléments répartis de façon strictement identique (d’où l’établissement d’un seul rôle pour l’ensemble.
A ce moment chaque trésorier visitait les élus qui dépendaient de lui, s’informait des facultés contributives de l’élection. Au cours de ses « chevauchées », il s’informait également de l’état des récoltes, des réclamations de l’année précédente et de leurs suites.
Les rôles des années précédentes jouaient un grand rôle dans ce recueil d’informations : c’est là ce qui nous intéresse tout particulièrement, car leur exigence était de retrouver, année après année, les mêmes informations au même endroit dans les rôles de taille successifs.
A l’examen de l’ensemble des informations recueillies, l’administration fiscale de la province fixait le montant de la taille à recueillir dans chaque élection puis dans chaque collecte de chaque élection. Des réclamations en « surtaux » étaient possibles à chaque niveau. Une fois prise en compte, le conseil du roi expédiait en septembre/octobre les « commissions » qui immédiatement étaient répercutées sur les élections, puis par celles-ci sur les collectes.
Localement, l’assemblée de la paroisse (le plus souvent) désignait par élection des « collecteurs de taille » ou plutôt des « asséeurs-collecteurs », que l’on appelle localement les « consuls », dont le rôle était de déterminer le montant de la taille de chacun, puis ensuite de collecter ces montants aux fins de les verser en 4 quartiers entre les mains du collecteurs de l’élection. Le premier quartier devait être versé en décembre, le dernier au plus tard en septembre.
Nous ajouterons simplement qu’au sein de la paroisse, la répartition de la taille était publique : chacun connaissait les impôts des autres. Et, par ailleurs, les collecteurs étaient responsables sur leurs propres deniers des impôts non payés, ce qui empêchait toute imposition au-delà des capacités contributives des redevables.
Même si la taille a donné lieu à un phénomène de rejet collectif considérable, en grande partie basé sur les exemptions (d’où son abrogation par la Constituante), sa répartition locale et régionale était finalement assez juste, et l’on pourrait aujourd’hui s’étonner du caractère public de la répartition de cet impôt, qui ne cadre pas avec notre goût du secret financier.
Les rôles de taille et les collectes
Dans l’environnement auvergnat, ce n’est pas la paroisse qui est l’élément géographique et démographique le plus important, mais le « village » (hameaux ou lieux-dits).
On trouvera les raisons d’être de l’importance donnée aux villages en Auvergne dans la page que leur est consacrée (cliquez ci-dessus sur « village »).
Dans chaque village les « cotes » (anachroniquement on pourrait dire les « cotes mobilières ») se suivent toujours dans le même ordre, ce qui permet un repérage facile et un suivi aisé de chaque famille contribuable. Cette pratique n’est pas le fait du hasard, mais résulte de la demande de l’administration qui peut ainsi suivre les impositions d’une année sur l’autre.
Normalement la taille était réglée par les consuls au « receveur de la taille » en 4 quartiers, le 1er en décembre de l’année précédente, le dernier en septembre. Mais du fait du défaut de disponibilité des monnaies, les consuls étaient en permanence à la « chasse » aux quelques menues monnaies que pouvaient leur remettre les redevables.
Deux points supplémentaires :
- les consuls étaient rémunérés sur la base de 6 deniers pour livre (soit 2,5 %) et étaient exonérés de taille pour l’année en cours (pour suivre ce qui précède, ils étaient soigneusement repérés sur le rôle de l’année suivante)
tous les habitants payaient la taille : les plus pauvres ne payaient que quelques sous et se retrouvaient en fin de rôle dans le chapitre des « Basses indictions ».
La conservation des rôles
Celle-ci est très aléatoire car, outil fiscal d’usage annuel, renouvelé tous les ans, rien, pas même l’administration de l’époque, ne poussait à les conserver.
On en trouve donc au hasard de la conservation des papiers familiaux (conservés par les collecteurs) ou de la saisie des papiers administratifs au temps de la Révolution. En Auvergne, dans l’élection d’Issoire (Puy-de-Dôme), nous avons l’avantage d’une famille d’élus qui nous ont conservé la quasi-totalité des rôles de leur élection depuis les années 1670/1680 jusqu’à la Révolution.
Ceci permet une étude longitudinale de l’impôt et surtout des contribuables concernés. (cote aux AD du Puy-de-Dôme : B(IS) xxx , chiffre fonction de la collecte concernée) Ils se trouvent conservés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme, même si une partie de l’élection concernait des paroisses qui appartiennent aujourd’hui à la Haute-Loire, parce que cette élection, comme beaucoup d’autres en Auvergne, dépendait de la Généralité de Riom. On trouvera ici les répertoires des rôles de taille conservés aux AD du Puy-de-Dôme, publiés dans « A moi Auvergne ! » par Jean Noël MAYET en 1997 :
- Rôles de taille de la Haute-Loire (AmA! n° 79)
- Rôles de taille du Cantal et autres départements voisins (AmA! n° 80)
- Rôles de taille du Puy-de-Dôme (AmA! n° 81)
De l’intérêt de ces rôles en généalogie
Une fois ce cadre fixé, on comprend l’intérêt des rôles de taille en généalogie, surtout lorsque l’on se trouve devant un trou des registres BMS. Sans compter que la rigueur des curés dans la rédaction des actes laisse largement à désirer, en dépit des ordonnances royales (Code Louis de 1667, rappel par la déclaration royale de 1698 et par celle 1736). Et en outre, en Auvergne la conservation des minutiers notariaux, en dehors des « villes », est tout à fait aléatoire.
Lorsque l’on dispose, comme c’est le cas dans l’élection d’Issoire, de la suite des Rôles de taille, dont le positionnement de chaque cote, d’une année sur l’autre, demeure identique, il est facile de suivre la disparition d’un chef de famille, remplacé par sa veuve, puis par celle-ci et son fils ou son gendre. On en voit tout de suite l’intérêt généalogique lorsque font défaut des informations certaines sur l’état civil de la famille.